A nouveau le silence régnait dans le hall de la pension Hinata, un silence uniquement perturbé par les seuls sanglots d'une jeune femme assise sur une valise. Cette jeune femme, Ise Nitta, extériorisait toute la douleur, tous les malheurs qu'elle conservait en elle jusqu'à cet instant. Elle les laissait jaillir au fur et à mesure qu'un flot intarissable de larmes semblaient se déverser sans jamais pouvoir s'arrêter. Face à elle, Sakuro Coltheart, un jeune homme dont les yeux avaient cessé de fonctionner depuis des années. Celui-ci se tenait à genou face à cette jeune femme, sa main tendue vers son visage, ses doigts effleurant sa joue là où les larmes coulaient sans cesse.
Sakuro était complètement absorbé par cette femme. Dans ce hall où il n'y avait personne d'autre que ces deux-là, le temps semblait s'écouler d'une manière totalement différente de celui du monde. Dans l'esprit du non-voyant, une multitude de sentiments divers se bousculaient, un curieux mélange de compassion, de curiosité , de culpabilité et d'inquiétude. Compassion pour tous les malheurs qu'Ise semblait avoir vécu. Curiosité d'en apprendre davantage sur elle, sur son passé, sur son histoire. Culpabilité car il y avait quelque chose dans ses mots ou dans ses gestes qui avait amené à la présente situation. Inquiétude de ne savoir quoi faire pour lui apporter son aide.
Le jeune homme sentit le regard de la jeune femme croiser, s'aligner et se verrouiller sur le sien qui sur le coup sembla surprise. Et après un long moment de silence qui paraissait une éternité, la voix chancelante d'Ise retentit, entrecoupée par ses sanglots. Elle confessa ses douleurs, ses blessures. Des blessures survenues quatre mois et demie auparavant. Des ambitions anéanties trois semaines plus tôt. Une fugue faite il y a une semaine de cela. Ise ne donna pour le moment aucun détail. Simplement un petit aperçu de son passé. Elle prit ensuite les mains de Sakuro dans les siennes. Et d'une voix un peu plus haute que précédemment, ordonna au jeune homme de la conduire à une chambre. Elle avait décidé de tout lui avouer. De tout lui dire sur celui qui était à la source de ses malheurs. De tout lui dire sur celle qui avait été la personne la plus précieuse de sa vie. De tout lui dire sur ces deux personnes dont les yeux étaient identiques aux siens. De tout lui dire...
Sakuro ne discuta pas. L'une de ses mains récupéra sa canne blanche restée à terre. Le jeune homme se releva lentement et aida la jeune femme à se relever à son tour. Il la guida jusqu'en haut des escaliers et à travers les couloirs de la pension. Il balayait devant lui avec sa canne comme à son habitude. Son autre main en revanche n'avait pas lâché une seule seconde celle d'Ise. Ce n'était pas qu'il ne voulait pas la lâcher (quoique quelque part au fond de lui, il n'avait pas du tout envie de la lâcher), mais il lui semblait qu'elle de son côté ne lâcherait pas de sitôt.
Tous les deux, ils s'arrêtèrent devant les portes d'une chambre. Au-dessus se trouvait une plaque marquée d'un "18". Sakuro fit face aux portes et les fit coulisser, révélant ainsi l'intérieur de la chambre.
- Voici votre chambre. J'espère que vous y serez confortable, dit-il avec un léger sourire.
Une chambre comme les autres: deux pièces, chaque pièce ayant une surface de huit tatami. Quelques meubles se trouvaient déjà à l'intérieur comme une table basse et autres. Sakuro invita Ise à entrer la première et la suivit, refermant la porte derrière eux. Il l'amena jusqu'à la table basse et relâcha finalement sa main. Il replia ensuite sa canne et la posa sur la table. Il se tourna vers l'alcôve dans le mur droit où se trouvait tout un nécessaire pour faire le thé. Il prépara calmement un thé. Pendant un moment, aucun mot ne fut prononcé. Un silence planait de nouveau dans l'air. Sakuro revint ensuite à la table avec un plateau contenant théière et tasses en terre cuite. Il posa une tasse devant Ise et une tasse à la place lui faisant face. Il versa le thé dans les tasses. Il reposa ensuite la théière et s'installa face à la jeune femme. Il but une petite gorgée du chaud breuvage en fermant un court instant ses yeux.
Il les rouvrit à nouveau un instant plus tard en reposant sa tasse sur la table. Son attention était tournée à cent pour cent sur Ise Nitta. Il attendit patiemment que cette jeune femme dont le coeur et l'esprit étaient tourmentés commence son récit. Il souhaitait vraiment connaître le passé de cette jeune femme. Mais il ne la forcerait pas. Il ne demanderait rien. Il la laisserait révéler son passé à son bon vouloir et ne l'interromprait en aucune manière que ce soit (il s'assura d'ailleurs que rien ne l'interromprait, encore moins un téléphone portable qui sonne).