Contemplation [Eryu]

Sakura s'était enfin décidée à sortir de sa chambre pour s'aérer un peu. Mais elle ne le fit pas en plein jour, oh non, elle ne voulait pas rencontrer quelqu'un. C'est pourquoi lorsque le Soleil se coucha et qu'il laissa la place à sa soeur la Lune et ses amies les Etoiles, elle se retira de son antre afin de méditer en plein air. Une légère brise fraiche la réveilla instantanément étant donné qu'elle n'avait rien pris pour mettre sur elle. Ce n'était pas grave, elle attraperait la crêve, tant pis. De toute manière, elle avait la flemme de revenir dans sa chambre pour aller chercher quelque chose de chaud. Habillée d'un corset et d'un pantalon noirs, elle emprunta les escaliers du haut pour se retrouver au final sur les toits.

Elle inspira et expira profondément l'air pur tout en fermant les yeux. C'était agréable de se laisser aller quelques instants, seulement écouter le vent, le bruissement des feuilles, les éclats de voix s'échappant des chambres par une fenêtre ouverte... Elle rouvrit lentement les yeux et marcha jusqu'au bord du toi où elle s'assit. Elle laissa pendre ses jambes dans le vide et mit ses mains derrière pour s'appuyer. Finalement elle leva les yeux sur la voûte céleste et contempla les étoiles qui brillaient de mille feux. C'était une nuit de pleine lune qui éclairait d'une lueur blafarde les bâtiments de la Pension. Elle n'avait aucune conscience du temps qui passait et ne savait, par conséquent, pas quelle heure il était.

Elle ferma de nouveau les yeux et fit le vide dans son esprit. Elle s'enferma dans ses pensées, dans sa bulle, dans son monde où seule elle pouvait pénétrer sans trop de mal. Ce monde qui lui servait bien souvent d'échappatoire, d'issue de secours, de solution à un épineux problème. Mais à force de sy enfermer, elle s'y était habituée. Au lieu de se confier à quelqu'un, elle avait tout gardé pour elle se donnant comme prétexte qu'elle n'avait trouvé personne à qui confiait ses idées, ses ressentis et ses sentiments. Elle soupira légèrement venant briser le silence nocturne des toits...

Sakura ferma les yeux lentement, l'esprit vide de toutes pensées. A quoi se poser des tas de questions si elle ne parvenait même pas à y répondre ?! Elle se surprit à s'énerver contre elle-même sans aucun motif apparent ou peut être le simple fait d'être elle.

Elle fut stoppée dans sa réflexion lorsqu'elle entendit un bruit sourd derrière elle ainsi que des pas. Commençant à se demander qui pouvait bien traîner par ici à cette heure, elle en eut la réponse lorsque cette personne la fit sursauter. Elle se retourna vivement toujours assise et leva la tête pour constater avec surprise qu'il s'agissait d'Eryu.

Un sourire se dessina progressivement au fur et à mesure de ses mots. Tout en l'invitant à s'assoir, elle répondit doucement :

"Je pourrais aller mieux mais dans un sens, je vais bien et dans un autre, c'est comme d'habitude... Et toi ?"

Cela faisait tellement longtemps qu'elle ne l'avait pas vu et cela lui faisait plaisir de pouvoir lui reparler. Eryu s'était toujours montré gentil et sympathique avec elle. Elle lui fit d'ailleurs remarquer sur le même doux :

"Cela faisait longtemps que l'on s'était pas vu ni parler... Cela me paraît étrange mais à la fois joyeux... Enfin, qu'importe. Le principal est le moment présent."

Sakura plongea instantanément son regard vert dans celui d'Eryu. Un léger sourire restait accroché à ses fines lèvres tandis qu'elle le d'évisageait. Il avait changé... Il paraissait plus mur et responsable maintenant, cela ne lui déplaisait pas.

Sakura revint poser son regard vert sur la ligne d'horizon qui était à peine visible au loin. La pension était éclairée et donc plus claire que la nuit noire malgré la Lune et les Etoiles. Elle était heureuse que la vie sourit à Eryu, heureuse qu'au moins, chez les autres, le bonheur était présent. Eryu était bien l'un des seuls pensionnaires à ne pas se soucier de son attitude hostile et renfermée. Cela était plus agréable pour elle que de se voir toutes les deux minutes poser des questions sur ce qui faisait qu'elle était comme ça, et caetera...

En effet, cela faisait un bail qu'il ne s'était pas vu même s'ils habitaient tous deux à la Pension. Mais dans un sens, elle était partie pendant plusieurs mois hors de la Pension pour des raisons strictement personnelles et n'était revenue qu'il y a un mois environ. Elle répondit calmement :

"Oui, c'est vrai... Et puis, je me suis absentée entre temps ce qui a limité les possibilités de se voir... Enfin, qu'as-tu fait pendant tout ce temps ? Comment t'es venu l'idée de reprendre en main la Pension...?"

Elle ne s'était pas étalée sur le sujet à propos de son "évasion" et avec radicalement changer de sujet en abordant le travail qu'avait fait Eryu pendant son absence. Elle ne s'absenterait pas de si tôt, son excursion avait été trop violente et sanglante... mais je vous en dis déjà trop sur le sujet. Son visage se tourna vers le jeune homme et elle posa son regard sur lui.

La simple réponse d'une phrase d'Eryu laissa pensive Sakura. En effet, quelle vie aurait-elle mené si la Pension Hinata n'avait pas existé ? Serait-elle morte, affamée, prostituée ? Bon cessons les idées macabres un instant. Malgré la nuit noire qui les avait enveloppés de son manteau sombre, elle savait qu'elle le regardait. Elle replia ses jambes et posa son menton sur ses genoux pour enfin fermer les yeux. Elle lui répondit doucement :

"C'est une bonne chose que tu l'ai reprise... Des tas d'enfants et adolescents se seraient perdus sans elle... Etant revenue et pour longtemps, je me propose pour t'aider... Ce serait horrible que des gosses vivent ce que j'ai vécu, vraiment terrible... Alors, si ça ne te dérange pas et si tu es d'accord, je suis là au cas où..."

Elle esquissa un sourire malicieux qui disparut rapidement. Elle n'avait aucune idée de la réponse d'Eryu et même si elle était négative, elle ne dirait rien et accepterait sans rechigner.

Le vent soufflait fort à présent sur la Pension faisant voleter ses cheveux emmêlés. Toutes les lumières s'étaient éteintes d'un coup les laissant seuls dans la sombre pénombre. Elle soupira légèrement comme pour accompagner le vent et rouvrit les yeux. Le spectacle était saisissant. Le vent tranformait les brins d'herbe en une véritable mer agitée, même le lac n'arrivait pas à rivaliser, les arbres se penchaient sous son poids, les feuilles s'envolaient sous son souffle, les volets claquaient et quelques lampes vacillaient... Cela décrivait bien sa personnalité, changeante et imprévisible... Elle soupira une seconde fois et reprit dans un murmure :

"J'ai l'impression cependant que l'atmosphère a changé... L'ambiance n'est pas la même... Beaucoup de pensionnaires sont partis... Des pensionnaires clés... C'est étrange, il n'y a presque plus personne que je connaisse, à part toi... Refaire des connaissances et remplacer ces amis me désole et m'anéantit... Je ne sais pas ce que tu en penses..."

Sakura frissona légèrement sous la froideur du vent. Mais malgré sa frêle silhouette, elle lui résistait et tenait bon. Elle se redressa, laissa retomber ses jambes dans le vide et finalement allongea le reste de son corps contre le sol froid et rugueux. Cela la fit frissoner de nouveau. Son regard se balada sur la voûte céleste étincellante de magnificience.

Sakura avait fermé les yeux. Elle sentait le vent caresser son visage pâle et mince tandis qu'il se défoulait sur la Pension. Cela la fit sourire légèrement et elle se concentra sur ce que disait Eryu. Sa réponse ne la convaincut pas et elle demeura silencieuse pendant quelques instants où le seul bruits était le grincement des volets et le bruissement des feuilles dans les arbres. Finalement, elle répondit dans un murmure :

"Beaucoup trop compliqué, en effet... Les souvenirs s'effilochent trop rapidement et s'effacent sans demander leur reste... Et les quelques anciens pensionnaires ne sont que..."

Elle s'interrompit brutalement. Selon elle, à part Eryu, il n'y avait plus d'anciens pensionnaires à la Pension qui soient dignes d'elle. Enfin, il n'y avait pas besoin d'être digne d'elle mais elle ne connaissait plus personne qui l'appréciait vraiment, à sa juste valeur. Cette déprimante réflexion la fit soupirer et elle se referma un peu plus sur elle. Puis elle reprit encore plus bas :

"Ainsi va la vie... On ne peut rien y faire, seulement subir..."

Ces quelques pensées philosophiques s'estompèrent presque immédiatement dans le râle du vent. Un second soupir sortit de ses lèvres tandis qu'un frisson lui parcourait le corps. Elle rouvrit les yeux et posa ses mains sur son ventre.